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Manifeste : " Je rêve en Super 8 "

Le texte suivant est une présentation écrite pour la vidéo de 52 minutes "Je rêve en Super 8". Constituée, à la manière d'un album, de plusieurs titres  qui se suivent et se répondent, elle a été multi-diffusée sur le câble, le satellite et l'ADSL français, d'abord sur la chaîne TFJ puis dans le cadre du programme PARADISE, présent toutes les nuits sur la chaîne PINK TV. (Est-ce que l'Art vidéo a un destin communautaire ? Je préfère laisser répondre les historiens de l'Art et remercier ici ceux qui ont eu le courage de passer sur le petit écran des images sortant de l'ordinaire, notamment Anne Imbert et Jérôme Oliveira.)

Depuis, j'ai pris la liberté de re-découper ce programme, et la plupart des titres qui le composaient se retrouvent ou se retrouveront dans le Podcast Sensible Media. J'ai fait ceci dans un souci de lisibilité : il n'est pas évident d'avoir 52 minutes devant soi à consacrer à ces fillms qui demandent un supplément d'attention comparées aux programmes télé habituels. Le format Podcast m'a aussi semblé convenir mieux à ces pièces de différentes durées et différentes intensités.

Ceci étant dit, le propos qui suit me semble encore d'actualité et c'est pourquoi je le publie tel quel aujourd'hui.

Pablo Altés


La croisée des chemins
Certaines choses sautent aux yeux. Par exemple, que Je rêve en Super 8 revendique l’héritage de films devenus classiques comme Koyaanisqatsi ou Baraka, mais aussi du cinéma expérimental de l’école russe, allemande, américaine ou encore du versant artistique de la culture Pop, éclose dans les années 60 et dont les fruits mûrissent encore.
Du point de vue musical, les influences sont à chercher du côté de Steve Reich ou Philip Glass, de Daft Punk (que j’ai côtoyé dans ma jeunesse) ou encore de Peter Gabriel et de la musique ethnique.

Pensée antique, images d’aujourd’hui
Pourtant, derrière ces références actuelles se cache une pensée ancienne. La pensée que je fais mienne c’est celle qui a donné à l’humanité l’écriture, la culture, la démocratie, les sciences. C’est cette pensée qui en se diffusant a permis à notre monde de devenir ce qu’il est. Cette pensée, c’est celle de la Méditerranée.
Ordinateurs, caméras vidéo, programmes de retouche numérique ? Bien sûr, ces outils me plaisent, mais uniquement pour ce qu’ils permettent de faire. Si j’étais né à une autre époque j’en aurais certainement utilisé d’autres. Ce qui compte c’est la Musique, ce qui compte, ce sont les idées.
Dès la première pièce de mon album d’images et de sons On the Beach, se révèle en effet une grande partie ma démarche. Je tente de m’y réapproprier les techniques de la psychanalyse dans un but d’expression artistique.

Pourquoi ?
Un siècle après la révolution psychanalytique, on constate que comme Nietzsche avant lui, les découvertes de Freud ont été récupérées par ses pires ennemis. Au lieu de contribuer à la libération des êtres humains et à la constitution d’un groupe social éclairé, les acquis de la psychologie servent à manipuler toujours plus l’individu, à le capturer en tant que consommateur et à fomenter en lui la haine de l’Autre. 
La télévision est l’outil principal de cette domination intellectuelle.

Comment lutter ?
D’abord, j’ai prêté ma caméra à un jeu d’écriture automatique, en hommage aux surréalistes, lors d’une balade en bord de mer.

Le travail sur les photogrammes m’a permis de reconstruire un mouvement à partir d’images fixes. Ni abstraites, ni figuratives, les images résultantes s’apparentent aux  taches d’encre qui amènent l’injonction « Dites-moi à quoi cela vous fait penser… »

C’est ce qu’on peut appeler une fiction-miroir, car l’histoire que l’on voit en tant que spectateur n’existe que dans notre esprit et sera différente pour chacun de nous. Elle nous renvoie notre propre image mentale, dans toute sa structure narrative.

Ensuite j’ai détourné le papillonnement de l’image cathodique, dit «flicker». Cet effet, redouté des techniciens, dans lequel deux images alternent très rapidement, met en évidence l’état hypnotique dans lequel nous plonge l’exposition prolongée à un écran de télévision. Il est utilisé consciemment dans des programmes de variétés, dans les jeux vidéo et les dessins animés japonais et a entraîné en France l’apparition d’avertissements sur l’épilepsie sur l’emballage des programmes ludiques.

Plutôt que d’éviter l’affrontement avec cet effet perçu comme néfaste, j’ai tenté d’en tirer parti et d’en contrôler l’énergie phénoménale, en le liant au corps de la musique, au son du piano électrique en particulier, qui structure cette pièce avec peu de notes.

Quelle est la différence avec ce que vous voyez chaque jour sur votre poste ? La télévision cherche à vous hypnotiser sournoisement et sans votre consentement, pour mieux vous inculquer ses idées toutes faites et ses appels à la surconsommation. Moi, je tente de faire comme le psychanalyste, qui n’a rien à vous apprendre qui ne soit déjà en vous-même.

Je crois, comme l’ont cru avant moi les pionniers de la télévision, comme l’ont cru avant moi les pionniers du cinéma ou de l’écriture, qu’un outil de communication aussi puissant n’a pas à être un outil d’agression, ni un outil de domination, mais un outil de connaissance et d’élévation spirituelle.

Je crois en la télévision, mais je rêve en Super 8.